mardi 1 décembre 2015

Un 13 novembre, à Paris...

Il ferme lentement les paupières, étendu sur une moquette humectée par son sang qui fuit. Il ne ressent ni douleur, ni même haine. 

Sa vie s'achève dans un lieu improbable, appelé Bataclan. Un endroit qu'il avait pourtant rejoint pour oublier les déboires d’un monde meurtri. Curieusement, c’est au seuil de la mort qu’il s’attache à la vie, lui qui avait quelque peu perdu le fil de son existence. 

Il voit les éclairs des mitraillettes, mais ne perçoit plus le bruit. Ces personnes qui chutent devant ses yeux, au ralenti, le renvoient aux feuilles d'automne qu'il admirait autrefois, devant sa fenêtre, se demandant: "c'est donc ainsi ? faut-il toujours que la vie s'arrête pour que la vie recommence ?"

Il ne connaît pas les personnes qui se trouvent là, il ne peut pas les secourir, il a juste le temps de les aimer, avant qu'elles ne s'effondrent autour de lui. 

De temps à autre, ses yeux distinguent une silhouette pliée qui rampe péniblement vers la sortie, ses lèvres esquissent alors un sourire et son âme s'écrie: "respire pour moi un peu d'air frais l'ami !"

Ses souvenirs sont trop nombreux pour tenir dans sa mémoire. Ils se décantent un par un, au fond de son être, dans toute leur force et dans leurs intimes faiblesses. Leur présence le réconforte, et il pense : "si mes souvenirs surgissent dans un moment aussi critique, c'est qu'ils ne disparaîtront jamais. D'ailleurs, pourquoi disparaîtraient-ils ? Ne vont-ils pas perdurer dans les joues potelées de mon enfant, dans les bras réconfortants de ma chérie, dans les yeux lumineux de ma mère et dans l'humour décalé de mes amis ?

Mon corps va disparaître, mais pas la terre de France qui m'a vu  naître et qui s'apprête à m'accueillir. 

Je pars ainsi en éclaireur, j'enjambe plus tôt que prévu la barrière du temps, j'emmène avec moi l'espoir naissant de mes congénères, qui vont de nouveau réaliser l'importance de la vie et de ceux qui en défendent les valeurs.

Je n'arrive pas à haïr mes assassins, parce que je n'arrive pas à comprendre ce qui les motive à agir de la sorte. Et puis le temps qui me reste est si court. Je préfère avoir pitié d'eux, je préfère que ma mort serve aux vivants, qu'ils comprennent pourquoi et comment on en est arrivé là. Je préfère même pardonner, en espérant que ceux qui restent trouveront les solutions et qu'ils réussiront à désamorcer la haine qui anime mes assaillants, sans pour autant déchaîner leurs propres démons.

Comment leur faire comprendre que le plus précieux des trésors n’est autre que l'amour qui unit les hommes ? Comme seul bagage, j’emporte avec moi la somme d'amour que j'ai connue dans ma vie. Seule la force de cet amour me transportera, moi et mes compagnons, dans les sphères l'au-delà."

Il se sent étonnamment bien, il va changer de lieu, emportant avec lui ce qu'il a de mieux, laissant derrière lui les parents et les amis, se disant dans le creux de la fosse: "pourvu que cette tragédie aide les hommes à construire un monde meilleur."

Puis il ferme délicatement les yeux...

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